(adapté de Accommodating the Mentally Disabled Employee: The Union Perspective, par Catherine Sullivan, du BC Government & Service Employees’ Union, Burnaby, C.-B., avec l’assistance de Patrick Hayes, étudiant coop en droit, pour le compte de la Continuing Legal Education Society of British Columbia, novembre 2008)
L’obligation d’adaptation est partagée par plusieurs acteurs. L’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud , [1992] A.C.S. no 75 (QL) a déterminé comme suit la portée de l’obligation d’adaptation pour les syndicats :
- Une obligation d’adaptation incombe au syndicat s’il devient partie à une affaire dediscrimination.
- Un syndicat a une obligation d’adaptation s’il devient le coauteur d’une discrimination :
- en participant à la formulation d’une règle de travail ou d’une disposition de la convention collective qui a un effet discriminatoire;
- en faisant obstruction aux efforts raisonnables de l’employeur pour prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé.
- Le syndicat et l’employeur partagent l’obligation de prendre des mesures raisonnables afin d’éliminer ou d’atténuer la source d’un effet discriminatoire. Ils partagent également la responsabilité de l’inaction.
- L’employeur est généralement le mieux placé pour apporter des mesures d’adaptation. On s’attend donc à ce qu’il lance le processus.
- L’obligation du syndicat naît lorsque sa coopération est requise pour rendre l’adaptation possible.
Tout comme l’employeur, le syndicat peut s’acquitter de son obligation d’adaptation en prouvant la contrainte excessive. Pour ce faire, il faut démontrer qu’il y a préjudice envers d’autres membres du syndicat. L’arrêt Renaud dit d’ailleurs ceci au paragraphe 38 : « Toute atteinte importante aux droits [d’autres membres] constituera une contrainte excessive et justifiera normalement le refus du syndicat de consentir à une mesure [d’adaptation]. »
Cependant, une certaine interférence avec les droits d’autres membres reste possible. Qu’on en prenne pour exemple l’interférence avec l’ancienneté, permise par certains tribunaux.
Enfin, le syndicat doit s’assurer que ses politiques, processus et procédures n’ont pas d’effet discriminatoire sur les individus ou les groupes qui le composent.
Vision traditionnelle du devoir de juste représentation
Le syndicat influe sur le processus des griefs, en ce sens qu’il a le pouvoir de décider de porter un grief en arbitrage et de le régler au nom du membre.
Le devoir de juste représentation limite cependant le pouvoir du syndicat en lui interdisant de représenter les membres de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Dans le domaine des relations de travail, le terme « discriminatoire » est interprété de manière très large pour désigner le fait de cibler une personne et de lui infliger un traitement préjudiciable pour des considérations qui sont sans rapport avec la situation. Cela comprend, sans s’y limiter, la discrimination reposant sur des motifs illicites en vertu des lois sur les droits de la personne.
En général, les commissions des relations de travail imposent des normes raisonnables aux syndicats dans la conduite des griefs. Les syndicats doivent se pencher sérieusement sur les dossiers et prendre des décisions raisonnées quant à l’opportunité de formuler ou non des griefs.
Représentation de membres ayant un problème de santé mentale
- Les décisions K.H. (re), [1997] S.L.R.B.D. No. 44 (QL) (Commission des relations du travail de la Saskatchewan), et Bingley, 2004 CCRI 291
(Conseil canadien des relations industrielles) ont déterminé que les syndicats sont tenus à des normes plus élevées en matière de représentation de membres ayant un problème de santé mentale. Ces affaires suggèrent que, quand un membre a un problème de santé mentale, le syndicat ne doit pas se contenter de traiter son grief de manière « habituelle », mais doit prendre davantage l’initiative, se montrer plus attentif et consentir davantage d’efforts à son égard.
- Dans Bingley, le Conseil canadien des relations industrielles a adopté des lignes directrices pour déterminer si le syndicat avait rempli son devoir de juste représentation, c’est-à-dire :
- si l’intervention du syndicat était suffisante dans les cas où l’employeur néglige de prendre les mesures d’adaptation nécessaires;
- si la qualité du processus ayant permis au syndicat d’en arriver à sa décision était acceptable;
- si le syndicat a élargi le cadre de ses procédures « habituelles » et a fait preuve d’une diligence accrue dans la défense des intérêts de l’employé;
- si le syndicat a fait preuve d’une conviction suffisante dans ses discussions avec l’employeur.
Questions relatives à la santé mentale du membre
La dénégation est souvent symptomatique d’un problème de santé mentale et donne lieu à l’obligation d’évaluer la santé mentale du membre. En outre, les membres peuvent hésiter à parler de leur condition, par crainte de stigmatisation ou de conséquences négatives.
Ainsi, les questions suivantes peuvent se poser :
- Quel devoir a le syndicat envers un membre qui passe sous silence un problème de santé mentale?
- Le syndicat devrait-il tâcher d’en savoir plus sur la santé mentale du plaignant?
- Si le plaignant refuse de coopérer, est incapable de participer au processus ou refuse de fournir l’information médicale requise, quelle responsabilité incombe au syndicat?
- Jusqu’à quel point le plaignant est-il tenu de faciliter le processus de grief?
Dans de tels cas, le représentant syndical pourrait avoir du mal à conclure à un éventuel problème de santé mentale à partir des observations de l’employeur ou du syndicat sur le comportement du plaignant. Le syndicat doit-il donc tâcher d’en savoir plus sur la santé mentale du plaignant? Et jusqu’à quel point?
Dans Canada Safeway Ltd. and U.F.C.W., Local 401, re (1992) 26 L.A.C. (4th) 409, l’arbitre a commenté l’obligation de l’employeur de chercher à en savoir plus sur la santé mentale du plaignant. Dans cette affaire, l’arbitre a déterminé que, malgré le silence du plaignant sur son problème de santé mentale, l’employeur devait chercher à en savoir plus, car la nature du problème était telle que :
« une personne raisonnable qui observerait sa conduite en conclurait que son comportement est anormal et qu’il aurait sans doute avantage à chercher de l’aide auprès d’un professionnel ».
L’arbitre a précisé que l’aide d’un professionnel n’est pas toujours requise pour mettre au jour un problème de santé mentale. Il a indiqué que l’obligation de chercher à en savoir plus sur la santé mentale du membre vient souvent de l’hésitation d’une personne à révéler qu’elle souffre d’un problème de santé mentale.
Le principe énoncé dans Canada Safeway pourrait aussi s’appliquer aux syndicats dans leur traitement des griefs.
Dans Love c. Teamsters Local 132, 2001 CanLII 14106 (ON LRB), la Commission des relations du travail de l’Ontario a étudié la portée de l’obligation du syndicat à évaluer la capacité d’un plaignant ayant un problème de santé mentale.
Dans cette affaire, le plaignant s’est montré peu coopératif tout au long du processus et a nié avoir un problème de dépendance. Le syndicat a décidé de ne pas aller en arbitrage. Le plaignant a déposé une plainte contre le syndicat pour manquement au devoir de juste représentation, alléguant que le syndicat avait omis, dans le traitement de son grief, de tenir compte de sa dépendance.
La Commission a hésité à interférer dans la décision du syndicat, car le plaignant affirmait qu’il était compétent et rien ne permettait de contredire clairement son affirmation. Cette affaire n’est pas de la même nature que l’affaire Canada Safeway, dans laquelle le comportement du plaignant indiquait qu’il avait un problème de santé mentale.
La Commission a reconnu qu’il est en soi difficile de traiter avec des plaignants ayant un problème de santé mentale et a déterminé que le syndicat avait agi raisonnablement dans les circonstances :
Les syndicats qui tentent de représenter un membre pouvant avoir un problème de santé mentale doivent composer avec d’importantes difficultés qui peuvent compromettre leur capacité à obtenir des directives claires ou la capacité du membre à accepter des recommandations raisonnables nécessaires à la préparation d’une bonne défense. Comme Love a refusé d’admettre qu’il a un problème de dépendance ou un problème de santé mentale, il s’est entêté à refuser de coopérer et de fournir la preuve médicale qui aurait pu résoudre les inquiétudes de son employeur en la matière et qui était nécessaire pour organiser sa défense dans le processus d’arbitrage. Dans les circonstances, compte tenu du refus de Love de répondre au syndicat et de participer efficacement à sa défense, le syndicat a décidé, après avoir obtenu un avis juridique et l’accord de ses membres, d’abandonner l’affaire, estimant qu’elle avait peu de chance d’aboutir à un résultat positif pour l’employé. (paragraphe 45)
Il aurait peut-être été préférable pour le syndicat de tenter sa chance en arbitrage, étant donné les années de services du plaignant et sa situation difficile, d’autant plus que le syndicat se doutait bien que le plaignant avait un problème d’abus de substances toxiques, malgré sa réticence à l’admettre. Cependant, la Loi ne permet pas de remettre en question, après coup, l’analyse du syndicat. (paragraphe 47)
Quand un membre nie avoir un problème de santé mentale et refuse d’invoquer des motifs médicaux pour sa défense face à une allégation de l’employeur, le représentant syndical doit documenter toutes ses tentatives pour obtenir une telle information et tout refus de coopération de la part du membre. Ainsi, lors d’une audience future, on limitera la responsabilité du syndicat pour ne pas avoir fourni la preuve nécessaire (sur l’objection du membre). (Voir Breeden (re), [2002] B.C.L.R.B.D. No. 376 (QL), une cause dans laquelle l’arbitre a déterminé que le syndicat avait eu raison de ne pas donner suite à la plainte quand il n’a pu convaincre le plaignant de fournir l’information médiale requise.)